Colors Of WildLife

Made In Africa => L'actualité du continent africain => Discussion démarrée par: lauritz le 09 Mars 2007 à 11:06:38



Titre: Parcs Naturels : Les tribus victimes de l’écologie
Posté par: lauritz le 09 Mars 2007 à 11:06:38
Un article sur les problèmes de cohabitation entre les populations locales et les parcs en Afrique.
La source est américaine. Orion Magazine. 04-03-2007

Parcs Naturels : Les tribus victimes de l’écologie (http://www.infosdelaplanete.org/1613/parcs-naturels-les-tribus-victimes-de-l-ecologie.html)

"Sur tous les continents, des millions de personnes ont été chassées de leurs terres au nom de la conservation des espèces. La misère de ces populations déplacées suscite à présent une prise de conscience.

A l’aube, les vallées escarpées au fin fond du sud-ouest de l’Ouganda sont noyées de brumes. Des oiseaux qu’on ne trouve que dans cette minuscule partie de l’Afrique prennent leur envol, tandis que des grands singes vont boire aux ruisseaux. Pendant des milliers d’années, les Twas ont vécu en harmonie avec la forêt dans ce paysage de couleurs et de sons. Une symbiose si totale que les biologistes du début du XXe siècle venus étudier la région remarquèrent à peine leur existence. Ainsi l’un d’entre eux décrivit-il les Twas comme faisant partie de la faune. Dans les années 1930, venus du monde entier, des écologistes spécialisés dans la conservation (ou conservationnistes) réussirent à convaincre les responsables ougandais que cette zone était menacée par l’exploitation forestière et minière. Il fut donc décidé de créer trois réserves forestières – Mgahinga, Echuya et Bwindi. Toutes trois recouvraient en partie le territoire ancestral des Twas. Pendant soixante ans, ces réserves naturelles, définies seulement sur le papier, furent à l’abri des exploitants. Mais elles sont devenues officiellement parcs nationaux en 1991, et le Programme mondial pour l’environnement (Global Environment Facility, GEF) de la Banque mondiale a financé une bureaucratie pour les gérer.

Une rumeur circulait alors selon laquelle les Twas chassaient et mangeaient des gorilles de montagne. Les gorilles étaient déjà largement reconnus comme espèce menacée et représentaient une attraction grandissante pour l’écotourisme. Certes, ont admis les Twas, les gorilles étaient chassés, mais c’était le fait des Hutus, des Tutsis et des Bantous, ainsi que d’autres tribus de villages extérieurs. Les Twas, qui se sentent une parenté avec les grands singes, ont fermement nié en avoir tué. En dépit de cela, les conservationnistes occidentaux, convaincus de l’incompatibilité entre préservation de la nature et communautés humaines, ont exercé une telle pression que les Twas ont fini par être expulsés de leurs terres ancestrales. Ils vivent maintenant en périphérie des parcs, dans des camps improvisés, sans sanitaires ni eau courante. Encore une génération soumise à ce traitement, et leur culture, fondée sur la forêt – chants, rituels, traditions et légendes –, aura totalement disparu.

Ce n’est un secret pour personne : dans le monde, des millions d’autochtones ont été chassés de leurs terres pour laisser la place aux géants du pétrole, du métal, du bois et de l’agriculture. Mais peu de gens savent que la même chose se passe au nom d’une cause bien plus noble : la protection de l’environnement. Des chefs de tribu de presque tous les continents ont établi une liste des organisations responsables de la destruction de leurs cultures. Parmi celles-ci figurent non seulement Shell, Texaco, Freeport et Bechtel, mais également des noms bien plus surprenants, tels que les ONG Conservation International (CI), The Nature Conservancy (TNC), World Wildlife Fund (WWF) et Wildlife Conservation Society (WCS). Il est même possible que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), pourtant plus sensible aux problèmes liés à la culture autochtone, y figure. Nous sommes désormais des ennemis de la conservation, a déclaré le chef massaï Martin Saning’o lors d’une session du Congrès mondial de la nature organisée en novembre 2004 sous l’égide de l’UICN à Bangkok. Au cours des trois dernières décennies, les nomades massaïs ont perdu une large part de leurs pâturages au profit de projets de conservation dans tout l’est de l’Afrique. En fait, au début, les conservateurs de la nature, c’était nous, a ajouté Martin Saning’o. Dans le silence qui a suivi, il a calmement expliqué la façon traditionnelle dont les éleveurs de bétail, bergers et nomades, ont toujours préservé leurs pâturages. Puis il a tenté de comprendre l’étrange démarche de préservation de la nature qui a plongé son peuple dans la misère – plus de 100.000 Massaïs ont été expulsés du sud du Kenya et des plaines du Serengeti, en Tanzanie. Comme les Twas, les Massaïs n’ont pas bénéficié de compensations adéquates. Leur culture est en train de disparaître et ils vivent dans la misère. Nous ne voulons pas vous ressembler, a poursuivi Martin Saning’o devant une assemblée de visages blancs choqués. Nous voulons que vous nous ressembliez. Nous sommes ici pour changer vos mentalités. Vous ne pouvez pas protéger l’environnement sans nous.

Probablement sans s’en rendre compte, le chef massaï parlait au nom d’un mouvement planétaire grandissant, regroupant des peuples autochtones qui se considèrent comme des réfugiés de la conservation, à ne pas confondre avec les réfugiés de l’environnement, des populations forcées à abandonner leurs terres en raison de sécheresses, d’inondations ou d’autres conséquences du chaos climatique.

Les réfugiés de la conservation sont soustraits à leurs terres contre leur gré, soit par la force, soit par toute une gamme de mesures moins coercitives. Les méthodes les plus douces sont parfois appelées soft eviction (expulsion douce) ou voluntary resettlement (recolonisation volontaire) – une notion contestable. Quelle que soit la méthode, les griefs sont là. Ainsi la délocalisation bénéficie-t-elle généralement de l’aval tacite ou de la négligence complaisante de l’une des cinq grandes ONG internationales – les BINGO (big international non-governmental conservation organizations), comme les ont surnommées les chefs des peuples autochtones. Khon Noi, matriarche d’un village de montagne isolé, se tient blottie au coin du feu. Ses vêtements amples aux couleurs vives indiquent qu’elle appartient aux Karens, le peuple le plus nombreux parmi les six qui habitent les montagnes du nord de la Thaïlande. Son village compte 65 familles et occupe cette large vallée depuis plus de deux siècles. Récemment, dans un élan d’enthousiasme écologique stimulé par les généreuses subventions du GEF, le gouvernement thaïlandais a commencé à créer des parcs nationaux en telle quantité que le ministère des Eaux et Forêts thaïlandais, responsable de leur cartographie, a du mal à suivre la cadence. Le ministère gère des zones protégées couvrant maintenant presque 24.000 kilomètres carrés et occupées par des tribus des collines et des pêcheurs. Un jour, des hommes en uniforme armés de fusils sont venus de nulle part, se souvient Khon Noi, et ils nous ont dit que nous vivions maintenant dans un parc national. Nous n’en avions jamais entendu parler. On nous a confisqué nos fusils… Plus de chasse, plus de pièges ni de collets, et plus de ‘brûlis’. C’est comme ça qu’ils appellent notre agriculture. Nous, on appelle ça la rotation de cultures et on fait ça dans notre vallée depuis plus de deux cents ans. Bientôt, nous devrons vendre du riz pour nous procurer les légumes que nous n’avons plus le droit de cultiver ici. Nous pouvons nous passer de la chasse, car nous élevons des poulets, des cochons et des buffles. Mais la rotation de cultures, c’est notre mode de vie.

En 1962, on répertoriait un millier de zones protégées dans le monde. Ce nombre est passé à plus de 108.000, et chaque jour il en apparaît de nouvelles. La surface totale des terres placées sous protection a doublé depuis 1990, pour atteindre 12% des terres du globe, soit plus de 19 millions de kilomètres carrés. C’est plus que l’Afrique entière. Dans les années 1990, le Tchad a fait passer de.0,1% à 9,1% la proportion de son territoire national placé sous protection. Toute cette surface était habitée par 600.000 personnes, qui sont aujourd’hui des réfugiés de la conservation. A part l’Inde, qui reconnaît en abriter 1,6 million, aucun autre pays ne tient les comptes de cette nouvelle classe de réfugiés, toujours plus nombreux. Les estimations mondiales avancées par l’ONU, l’UICN et quelques anthropologues varient de 5 millions à plusieurs dizaines de millions. Charles Geiser, sociologue à l’université Cornell, s’est penché sur les déplacements de population en Afrique. Il est convaincu que le nombre de réfugiés sur ce seul continent dépasse les 14 millions. Le gouvernement indien, qui a fait expulser 100.000 adivesi (membres des populations rurales) en Assam, d’avril à juillet 2002, estime qu’ils seront 2 millions à 3 millions à être déplacés au cours de la prochaine décennie. Cette politique répond en grande partie à un procès intenté en 1993 par le WWF, qui exigeait que le gouvernement augmente les zones protégées de 8%, principalement pour sauvegarder l’habitat du tigre. Encore plus préoccupant, au Mexique, le déplacement imminent de plusieurs communautés mayas de la région forestière des monts Azules, dans le Chiapas, découle d’un processus lancé vers le milieu des années 1970 afin de protéger la forêt vierge tropicale. Ces déplacements portent en eux le germe d’une guerre civile. L’organisation Conservation International est au cœur de cette controverse, tout comme un grand nombre d’industriels.

Les populations tribales, qui réfléchissent en termes de générations plutôt qu’en termes de semaines, de mois ou d’années, attendent toujours qu’on leur accorde la considération qu’on leur a promise. Bien sûr, le trophée le plus convoité est le projet de déclaration de l’ONU, qu’un très grand nombre de nations doit ratifier. Pour l’instant, cette déclaration n’a pas pu passer, principalement parce que des chefs d’Etat puissants tels que Tony Blair et George Bush menacent d’y opposer leur veto. Pour eux, la notion de droits humains collectifs n’existe pas et ne devrait jamais exister. De plus, les communautés de défense des droits de l’homme et celles de la conservation de la nature s’opposent sévèrement sur la question des déplacements. Chaque partie accuse l’autre d’être responsable de la crise. Certains biologistes de la conservation, comme Steven Sanderson, président de la WCS, sont convaincus que la lutte pour la conservation a été prise en otage par les défenseurs des populations autochtones. Les peuples de la forêt et leurs représentants parlent peut-être au nom de la forêt telle qu’ils la perçoivent, a ainsi déclaré Sanderson, mais ils ne parlent pas au nom de la forêt telle que nous voulons la protéger.

Plus de 14 millions de réfugiés de la conservation en Afrique

Les solutions fondées sur l’incitation commerciale que proposent les groupes défenseurs des droits de l’homme, mises en œuvre avec les meilleures intentions sociales et écologiques, connaissent des résultats lamentables. Dans presque tous les cas, les peuples autochtones sont plongés dans l’économie monétaire sans avoir les moyens d’y participer réellement. On les cantonne dans les emplois de gardes forestiers (sans grade), de serveurs ou de moissonneurs, ou, s’ils réussissent à apprendre une langue européenne, de guides écotouristiques. Dès lors, il n’est pas surprenant que les populations tribales considèrent les conservationnistes comme de nouveaux colonisateurs, comme une simple extension des forces au service de l’hégémonie économique et culturelle mondiale.

Cependant, on commence à percevoir çà et là les signes d’un changement des mentalités. Certains spécialistes de terrain sont pleinement conscients que l’esprit d’exclusion survit au sein même des cercles dirigeants de leurs organisations, tout comme un préjugé négatif bien réel à l’encontre de la sagesse indigène. Notre organisation tente parfois d’utiliser des modèles qui ne s’accordent pas avec la culture des pays où nous travaillons, admet Dan Campbell, directeur de TNC à Belize. Nous sommes arrogants, concède de son côté, sous couvert d’anonymat, un cadre de Conservation International travaillant en Amérique du Sud. Bien qu’encourageantes, ces confessions ne reflètent qu’une minorité des attitudes. Mais, si les observations effectuées et les opinions des spécialistes sur le terrain parviennent à filtrer vers le haut, au sein des cercles dirigeants des BINGO, il y aura peut-être une fin heureuse à cette histoire.

Sur tous les continents, il existe déjà des modèles de travail positifs mis en place dans des zones de protection socialement sensibles, en particulier en Australie, en Bolivie, au Népal et au Canada. Dans ces pays, les lois nationales protègent les droits des autochtones. Les conservationnistes étrangers n’ont d’autre choix que de s’allier à ces communautés pour trouver des façons créatives de protéger les biotopes et de soutenir la biodiversité, tout en permettant aux indigènes de mener une vie florissante sur leurs propres territoires. Dans la plupart des cas, ce sont justement ces mêmes populations qui sont à l’initiative de la création d’une réserve – plus communément appelée zone indigène protégée (indigenous protected area, IPA) ou zone de protection de communauté (community conservation area, CCA). Les IPA sont une invention des Aborigènes, dont beaucoup ont recouvré leurs droits de propriété, ainsi que l’autonomie territoriale grâce à de nouveaux traités. Les CCA naissent un peu partout dans le monde, depuis les bords du Mékong, avec leurs villages de pêcheurs laos, jusqu’à la forêt de Mataven, en Colombie, où 6 tribus peuplent 152 villages autour d’une réserve écologiquement intacte couvrant plus de 1,6 million d’hectares. Très souvent, une fois la CCA créée et les droits territoriaux établis, la communauté invite une BINGO à lui envoyer ses écologistes et ses biologistes pour partager la tâche : il s’agit de protéger la biodiversité en associant la méthodologie scientifique occidentale aux connaissances écologiques locales.

90% de la biodiversité se trouvent hors des zones protégées

Malgré tout, il ne faut pas placer trop d’espoirs dans ces quelques exemples de coopération réussie. La convoitise effrénée des grands groupes pour l’énergie, le bois, les médicaments et les métaux représente toujours un danger considérable pour les communautés autochtones, un danger sûrement plus important que la conservation. Mais les frontières entre ces deux menaces s’estompent de plus en plus. L’un des points les plus problématiques est que les organisations de conservation internationales travaillent très facilement avec certaines des structures d’exploitation de ressources les plus agressives. Parmi elles figurent Boise Cascade, Chevron-Texaco, Mitsubishi, Conoco-Phillips, International Paper, Rio Tinto Mining, Shell et Weyerhauser. Toutes sont membres du Centre pour le respect de l’environnement dans les affaires (Center for Environmental Leadership in Business, CELB), une entité créée par l’organisation environnementale CI. Bien évidemment, si les BINGO renonçaient à ces partenariats, elles devraient aussi dire adieu à des millions de dollars de financements, ainsi qu’à une partie de leur influence internationale, sans lesquels elles perdraient toute efficacité. C’est du moins ce dont elles sont convaincues.

Toutefois, de nombreux protecteurs de l’environnement se rendent compte peu à peu que les zones qu’ils ont tenté de sauvegarder sont riches en biodiversité grâce aux peuples qui les habitaient et qui avaient appris à comprendre la valeur et les mécanismes de la nature environnante. Certains sont même prêts à admettre que le fait d’avoir ruiné la vie de plus de 10 millions de personnes pauvres et impuissantes était une erreur monumentale – une erreur non seulement morale, sociale, philosophique et économique, mais également écologique. D’autres encore ont appris d’expérience que les parcs nationaux et les zones protégées, lorsqu’ils sont entourés de gens affamés et en colère qui se changent alors en ennemis de la conservation, sont généralement voués à l’échec. Enfin, ils sont de plus en plus nombreux à se demander pourquoi la biodiversité continue de décliner alors que l’on a réussi à protéger une portion des terres émergées équivalant à celle de l’Afrique. Une interrogation soulignée par la Convention sur la biodiversité, qui a révélé un fait abasourdissant : en Afrique, là où ont été créés tant de parcs et de réserves et où les évictions sont les plus nombreuses, 90% de la biodiversité se trouve en dehors des zones protégées. Si nous voulons préserver la biodiversité en des lieux déjà occupés par des peuples au mode de vie écologiquement durable, l’erreur la plus stupide que nous puissions commettre serait de les mettre dehors. C’est une leçon que l’Histoire est en train de nous enseigner."


Titre: Parcs Naturels : Les tribus victimes de l’écologie
Posté par: Simba le 09 Mars 2007 à 17:29:18
Merci lauritz pour cet article sur ceux et celles que l'on appelle "les réfugiés de la conservation" ( :(), une cause noble (la protection de l'environnement) à défendre, mais des dégâts collatéraux bien moins nobles...
Débat délicat qui mérite réflexion.